Parmi l’ensemble des ordonnances et décrets publiés dans le cadre de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et des habilitations offertes au gouvernement, une ordonnance attire plus particulièrement l’attention des juristes en droit des contrats privés à savoir l’ordonnance n° 2020-306 relative à la prolongation des délai échus.
Cette ordonnance vise à suspendre un certain nombre d’effets juridiques soit parce que des actes prévus par la loi et les règlements auraient dû être accomplis pendant la période d’état d’urgence sanitaire, soit parce que des sanctions contractuelles auraient dû prendre effet pendant cette période.
L’article 2 dispose que :
« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.
Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit. »
1.1 Objet de la mesure
Il s’agit de proroger le délai de situations juridiques dans lesquelles un « acte » aurait dû être effectué entre le 12 mars 2020 et la date de fin de l’état d’urgence sanitaire plus un mois (soit jusqu’au 24 juin 2020, sauf prorogation de l’état d’urgence) et qui viendraient à être expirés, échus, prescrits, dans cette période (art. 2). Un mois après la fin de la fin de l’état d’urgence (24 juin en principe donc), les délais recommenceront à courir et l’acte devra être effectué, étant précisé que dans tous les cas le report pour que cet acte puisse être valablement effectué est limité à une durée de deux mois après la fin de la période spéciale.
1.2 Portée de la mesure sur les contrats ?
L’ordonnance ne prévoit pas de supprimer la réalisation de tout acte ou formalité dont le terme échoit dans la période visée ; elle permet simplement de considérer comme n’étant pas tardif l’acte réalisé dans le délai supplémentaire de deux mois imparti.
La précision selon laquelle sont concernés par les dispositions de cet article les actes « prescrits par la loi ou le règlement » exclut en principe les actes prévus par des stipulations contractuelles.
Le rapport au président de la République précise que « Le paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat. »
Cela étant, il convient de relativiser cette dernière affirmation :
1) Certaines conditions suspensives prévues aux contrats sont directement en lien avec la purge de certains droits (notamment en matière de cession immobilière, de cession de fonds de commerce…) ou l’obtention de certaines autorisations
Exemples d’application
a) Interruption du délai SRU (délai de rétractation de 10 jours)
Si ce délai est censé expirer le 12 mars ou au-delà, il recommencera à courir un mois après la fin de la période de la crise sanitaire. En pratique, cela signifie que tous les dossiers signés dont le délai de rétractation de 10 jours n’était pas purgé au 12 mars sont concernés. Le délai de rétractation recommencera à courir à partir du 24 juin. Toutes les signatures sont alors repoussées courant juillet donc toute la chaîne de signatures et de déménagements.
b) Interruption du délai de deux mois pour l’exercice du droit de préemption urbain
En pratique, le délai de deux mois pour l’exercice du droit de préemption urbain recommencera à courir à partir du 24 juin.
L’Autorité de la concurrence, dans son communiqué de presse en date du 27 mars précise notamment qu’en matière de contrôle des concentrations les délais légaux et réglementaires fixés notamment aux articles L. 430-5 (délai de 25 jours ouvrés pour se prononcer sur une opération de concentration) et L. 430-7 du Code de commerce (délai de soixante-cinq jours ouvrés en cas d’examen approfondi d’une opération de concentration) sont suspendus.
L’Autorité de la concurrence note cependant que « l’ordonnance ne fait pas obstacle à la réalisation d’un acte ou d’une formalité dont le terme échoit dans la période visée » et indique qu’elle « fera ses meilleurs efforts, chaque fois que c’est possible, pour rendre ses décisions et avis de manière anticipée, sans attendre l’expiration des délais supplémentaires conférés par ces dispositions ».
2) les clauses prévoyant des sanctions aux inexécutions sont directement paralysées par l’article 4 de l’ordonnance.
L’ordonnance ne supprime certes pas les obligations contractuelles mais elle suspend l’effet des clauses ayant pour objet ou effet de sanctionner une inexécution des obligations (voir ci-après).
2.1 Paralysie des clauses résolutoires, clauses pénales et des astreintes
Article 4 : « Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er ».
Ces clauses sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si elles ont pris ou ont vocation à prendre effet entre le 12 mars et le 24 juin 2020.
L’ordonnance précise que « Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme. »
En ce qui concerne les astreintes, les clauses pénales et résolutoires qui ont pris effet avant le 12 mars 202, mais n’avaient pas été pleinement exécutées, leurs effets sont également suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er de l’ordonnance.
Si on essaie de résumer :
Le paradoxe est donc le suivant : l’ordonnance ne remet pas en cause la validité des obligations contractuelles et en principe donc les paiements doivent être effectués à l’échéance prévue, peu importe l’état d’urgence sanitaire. Mais, dans le même temps, le non-paiement, y compris le retard volontaire, parce que le débiteur manque de trésorerie, qui ferait l’objet d’une sanction par l’une des clauses visées par l’article 4 dans ce délai, sont suspendues et leurs effets reportés. L’inexécution n’est donc pas sanctionnée. Il s’agit finalement de l’organisation d’une sorte de force majeure imposée et encadrée dans ses effets par le législateur.
2.2 Résiliation
L’article 5 prévoit que « lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, de deux mois après la fin de cette période ». Cet article a pour objet de prolonger la fenêtre de tir pour résilier une convention ou notifier un préavis de dénonciation.
En conclusion, ces mesures ne sont pas sans rappeler les mesures exceptionnelles qui avaient été adoptées pendant les deux guerres mondiales. Elles donnent lieu à une intervention directe du législateur dans les contrats de droit privé, avec une suspension encadrée de certains effets des contrats et des délais légaux. (cette intervention ne va toutefois pas jusqu’à une intervention sur le montant des prix et plus généralement sur le contenu des obligations, contrairement à ce qui avait été pratiqué en 1918, ou, par exemple, une loi avait bloqué les loyers d’habitation pour une durée indéfinie…).
Samuel Schmidt – avocat associé – Menlo Avocats
Rapport au président de la République https://beta.legifrance.gouv.fr/jorf/texte_jo/JORFTEXT000041755634
Ordonnance 2020-306 https://beta.legifrance.gouv.fr/jorf/texte_jo/JORFTEXT000041755644