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Bons de souscription d’actions – régime social précisé (Cour de cassation, 4 avril 2019, n°17-24470)

21 juin 2019 - Samuel Schmidt
  • Selon la Cour de cassation, dès lors que les bons de souscription d’actions sont proposés aux salariés en contrepartie ou à l’occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, ils constituent un avantage qui entre dans l’assiette des cotisations sociales. Peu importe qu’il existe ou non un risque financier pris par les bénéficiaires, à rebours de la jurisprudence initiée par le juge administratif en matière de fiscalité des management package…

Typiquement utilisés dans les montages de private equity », les dispositifs de management package sont devenus des outils familiers aux dirigeants et aux cadres salariés clés des sociétés. Mis en place à leur profit, ils leur permettent d’investir dans la société au sein de laquelle ils travaillent.

Certains dispositifs de management package sont prévus par la loi. C’est le cas de l’attribution de stock-options (C. com., art. L.225-177) ou de l’attribution d’actions gratuites (C. com., art. L.225-197-1) ou encore de l’émission de BSPCE. Ces dispositifs bénéficient d’un régime fiscal et social favorable et dérogatoire (sans entrer dans le détail, s’agissant du régime social, une exclusion des gains réalisés de l’assiette des cotisations sociales et l’application de contributions spécifiques).

  1. Présentation synthétique du régime des BSA

A contrario, certains mécanismes d’origine contractuelle ne disposent pas d’un régime juridique spécifiquement déterminé. C’est dans cette dernière situation que s’inscrivent les bons de souscription d’actions (ou « BSA »).  Ils donnent à leurs bénéficiaires la possibilité de souscrire ultérieurement et pendant une durée déterminée des actions de la société à un prix fixé d’avance lors de l’attribution du BSA.

Pour le bénéficiaire du BSA, il présente les avantages suivants :

– Le BSA est souscrit (ou le cas échéant acheté) par le salarié ou le dirigeant (ou autre, par exemple un prestataire de service) à un prix correspondant à un pourcentage de l’action sous-jacente. En pratique, on observe des pourcentages allant entre 5% et 20% du prix de l’action au moment de la souscription.

– Si la valeur de la société ayant émis les BSA augmente (valorisation qui peut par exemple résulter d’une cession du contrôle de ladite société), le titulaire de BSA aura intérêt à exercer son BSA. Il bénéficiera alors d’un gain égal à la différence entre le prix d’exercice fixé à l’avance et la prix réel des actions.

On comprend également que le BSA présente un risque de perte pour le souscripteur. En cas de baisse de la valeur de l’action sous-jacente, il n’aura aucun intérêt à exercer le BSA et perdra donc le prix de souscription du BSA initial. L’appréciation du risque pris est relativement subtile : par exemple, si le BSA est souscrit pour un montant peu important et que la période de souscription est très longue, le risque pris est sans doute relativement faible. A l’inverse, si le prix de souscription est cohérent avec l’action sous-jacente (cohérence qui peut être renforcée en ayant recours à une société spécialisée dans l’évaluation de ce type d’instrument) et si la période de souscription est encadrée, le risque de perte est avéré.

La question qui est posée est donc l’éventuel assujettissement de l’avantage procuré par le BSA au régime des cotisations sociales. La Cour de cassation, dans son arrêt du 4 avril 2019, a répondu par la positive.

  1. Présentation du mécanisme de management package mis en place par le Groupe Lucien Barrière

Dans cette affaire, une société avait mis en place un mécanisme d’intéressement au profit de ses dirigeants en leur permettant d’acquérir des BSA. Le contrat d’investissement conclu entre la société, ses dirigeants et la société de détention d’actions du groupe indiquait notamment que les bons étaient incessibles et qu’ils ne pourraient être exercés qu’à compter de la cotation de la société ou du transfert de la propriété de la totalité de la participation de deux sociétés du groupe à une autre entité.

Le 15 avril 2009, le « transfert de propriété » de la société a eu lieu et, conformément à la clause présente au contrat d’investissement, les dirigeants de la société ont cédé leurs BSA et ont réalisé une plus-value globale de 2 693 820 euros.

  1. BSA : un avantage soumis à cotisations sociales ?

A la suite d’un contrôle fiscal, l’URSSAF a décidé de réintégrer dans l’assiette des cotisations sociales ladite plus-value. La Cour d’appel de Paris a confirmé cette réintégration dans une décision en date du 6 juillet 217. Cette décision a fait l’objet d’un pourvoi en cassation par la société émettrice des BSA.

La Cour de cassation retient que, lorsque les BSA sont proposées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, alors ils constituent un avantage qui entre dans l’assiette des cotisations sociales. En revanche, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel de Paris sur un autre point en estimant que l’avantage soumis à cotisations doit être évalué en fonction de la valeur des BSA à la date à laquelle les bénéficiaires en ont obtenu la libre disposition et non, comme l’URSSAF et la Cour d’appel de Paris l’avaient retenu, en fonction de la plus-value réalisée lors de la cession des BSA.

  1. Les critères posés pour l’assujettissement des BSA aux cotisations sociales

L’assujettissement aux cotisations sociales est donc conditionné à deux modalités : les BSA doivent être proposés aux dirigeants ou aux salariés en contrepartie ou à l’occasion d’un travail et ils doivent constituer un véritable avantage.

Le critère de « l’avantage » paraissait de prime abord moins évident à justifier. En effet, dans d’autres circonstances, les BSA auraient pu générer des pertes.

Mais selon l’analyse de la Cour de cassation, le seul fait que les BSA aient été acquis à des conditions préférentielles, constitue un « avantage ». L’analyse de l’arrêt ne met pas en évidence quelles sont ces « conditions préférentielles ». Deux interprétations sont possibles :

– une interprétation de la notion de conditions préférentielles purement financière : autrement dit, les BSA auraient été acquis pour un prix inférieur à leur valeur réelle : cela ne ressort pas de la décision commentée et l’arrêt de la Cour d’appel de Paris (6 juillet 2017) ne remet pas en cause le fait que les dirigeants ont bien effectué « un investissement financier »  ;

– une interprétation plus large de cette notion de « conditions préférentielles » : la lecture de la décision de la Cour d’appel de Paris laisse penser que c’est cette interprétation qui a été retenue même si elle n’est pas clairement reprise dans la décision de la Cour de cassation :

« Très clairement, et contrairement à ce qui est prétendu par la société, un lien est affirmé entre d’une part, l’attribution de BSA et le maintien de ceux-ci et d’autre part, l’existence et le maintien d’un contrat de travail ou d’un mandat social. La plus-value potentiellement dégagée est donc bien en contrepartie ou à l’occasion d’un travail. Si les BSA représentent un investissement financier pour les dirigeants, lequel investissement est soumis à des aléas et à des risques inhérents à l’activité, cela ne retire en rien l’existence d’un avantage réservé aux dirigeants ou salariés dont seul le caractère bénéficiaire et l’importance de celui-ci généreront des cotisations (Cour d’appel de Paris », 6 juillet 2017)

Dans le même sens, on retrouve l’avis de l’avocat général à la Cour de cassation au sujet de la décision commentée :

« L’avantage résulte du seul fait que ces bons sont distribués aux seuls dirigeants et qu’ils acquièrent, une fois exercés la potentialité d’une plus-value sans que les juges aient à caractériser plus cet avantage. Cette distribution de BSA est nécessairement liée à l’appartenance de ces dirigeants à l’entreprise, ce qui suffit à caractériser l’avantage. En cela, l’existence d’un aléa potentiel quand à la réalisation d’une plus-value est sans conséquence sur la caractérisation d’un avantage résultant de la distribution de bons aux seuls dirigeants ».

Le critère de la prise de risque financier ne semble donc pas prédominant dans les critères d’analyse de la Cour de cassation.

Cela va à l’encontre de l’analyse choisie par le juge de l’impôt et l’administration fiscale qui justifient la requalification d’avantage en salaire lorsqu’aucun risque financier n’existe.

 Cela va également à l’encontre d’un régime incitatif en faveur des management package imaginés en dehors des seuls outils légaux. Ainsi, il semble suffire que le management package soit réservé à certains salariés ou dirigeants pour être soumis à cotisations sociales…

  1. Date de naissance de l’avantage lié à l’attribution de BSA ?

Une autre question importante était de déterminer la date de naissance de l’avantage. Cette date a une grande importance pratique puisqu’elle fait courir la prescription. Deux dates avaient été envisagées :

– date de l’attribution des BSA (solution qui était défendue par la société émettrice, auteur du pourvoi en cassation et on comprend que c’est la solution la plus avantageuse pour la société puisque c’est la date la plus ancienne possible),

– date de leur exercice ou de la cession des BSA ? (solution défendue par l’avocat général, en ligne avec l’URSSAF).

Dans la décision commentée, la solution finalement retenue est encore différente. La Cour considère que l’avantage est né au moment de la fin de la période d’incessibilité. La solution retenue permet également en l’espèce d’éviter une prescription de l’action de l’URSSAF.

 

Samuel Schmit – avocat à la Cour – associé Menlo Avocats

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