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Devoir de loyauté de l’administrateur de filiale vis à vis de son groupe (Cass. com. 22 mai 2019, n°17-13565)

13 juin 2019 - Samuel Schmidt

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation dresse les contours d’un devoir de loyauté de l’administrateur de filiale vis-à-vis de la société mère. La solution dégagée par la Cour de cassation nous semble pouvoir être élargie à toutes les situations dans lesquelles l’administrateur (ou d’un organe équivalent dans les sociétés par actions simplifiée, du type comité stratégique ou comité de surveillance) est en situation de dépendance vis-à-vis d’un actionnaire.

Cet arrêt est très intéressant car il répond à une question éminemment pratique mais rarement traitée en jurisprudence : dans quelle mesure les administrateurs d’une société mère doivent-ils suivre les directives de la société mère au sujet d’une filiale quand ils sont également administrateurs au sein de ladite filiale ?

La Cour de cassation répond par un attendu de principe « Attendu que si l’administrateur d’une société exerce en principe librement son droit de vote, dans l’intérêt de la société, le devoir de  loyauté auquel l’administrateur d’une société mère est tenu à l’égard de celle ci l’oblige, lorsqu’une décision est votée par le conseil d’administration de cette société, à voter dans le même sens au sein du conseil d’administration de la filiale, sauf lorsque cette décision est contraire à l’intérêt social de cette filiale »

Le raisonnement de la Cour de cassation est le suivant :

– Le principe est bien la liberté de vote des administrateurs,

– Mais il existe un devoir de loyauté des administrateurs vis-à-vis de leurs sociétés mères : l’administrateur doit tenir compte des directives de sa société mère ; au-delà de la personne morale de la filiale, on peut considérer qu’il existe un intérêt du groupe, reconnu implicitement par la Cour de cassation, que l’administrateur doit prendre en considération,

– Ce devoir de loyauté de l’administrateur est lui-même limité par l’intérêt social de la société dont il est administrateur : autrement dit l’intérêt social doit bien servir de boussole finale à l’administrateur dans toutes ses décisions et il ne peut pas justifier une décision qui serait contraire à l’intérêt social de la filiale par une directive de son groupe !

Rappel des faits

Les faits étaient relativement classiques.

La Safa était une société par actions simplifiée (SAS) dont deux personnes physiques Y et B étaient les Associés Majoritaires (les « Associés Majoritaires »).  La Safa était constituée d’un conseil d’administration dont un couple d’administrateurs étaient membres (les « Consorts O »).

La Safa contrôlait trois filiales, CSA, CESA et la société Dordognaise, dont il fallait désigner les dirigeants. Chacune de ces trois filiales étaient constituées d’un conseil d’administration dont les Epoux O étaient administrateurs.

Lors de sa séance en date du 27 juin 2014, le conseil d’administration de la société Safa, composé notamment des Consorts O, a décidé à la majorité de ses membres, que Y et B se porteraient respectivement candidats à la présidence ou à la direction générale des sociétés CSA et CESA ainsi qu’à la direction générale de la société Dordognaise. Cependant, lors des conseils d’administration des filiales, les Consorts O se sont opposés à la nomination de B aux organes de direction des filiales (en arguant d’une mésentente entre B et un des consorts O) et ont eux-mêmes été élus à ces postes.

Invoquant un manquement des Consorts O à leur devoir de loyauté en leur qualité d’administrateurs de la société Safa, cette dernière les a assignés en paiement de dommages-intérêts.
Décision de la Cour d’appel de Bordeaux et arrêt de cassation :
La Cour d’appel de Bordeaux (13 février 2017) avait admis ce manquement au devoir de loyauté en retenant que les administrateurs sont tenus au respect des décisions collectives priss régulièrement et non entachées d’abus de droit.

C’est cette décision qui est cassée par la Cour de cassation qui reproche à la Cour d’appel de Bordeaux de ne pas avoir rechercher, comme il lui était demandé, si la décision prise par le conseil d’administration de la société Safa n’était pas contraire à l’intérêt social de ses filiales. La cassation est encourue pour défaut de base légale au regard des articles L. 227-8 et L. 225-251 du Code de commerce, textes relatifs respectivement à la responsabilité du dirigeant de SAS et du dirigeant de SA.

Portée de la décision

Il nous semble que le raisonnement tenu par la Cour de cassation peut s’appliquer dans toutes les situations où l’administrateur (ou le membre d’un organe équivalent dans le cas des SAS tel que par exemple un comité stratégique ou un comité de surveillance) est en situation de dépendance « structurelle » vis-à-vis de celui qui l’a désigné et notamment :

– Administrateur personne physique d’une filiale « désigné » par une société actionnaire contrôlante dont l’administrateur est également salarié (dans ce cas le devoir de loyauté vis-à-vis de l’actionnaire est également sous tendu par le contrat de travail) ;

– Administrateur personne physique « désigné » par un fonds d’investissement et qui est en même temps salarié de ce fonds ;

– Représentant permanent personne physique d’un administrateur personne morale cette dernière étant en même temps l’actionnaire contrôlant la société (ou, à défaut de contrôle, disposant du pouvoir de proposer la désignation d’un administrateur) et l’employeur dudit représentant permanent.

 

Samuel Schmidt – avocat à la Cour – associé Menlo Avocats

 

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